J'aime le transport à longue distance! Non pas nécessairement le voyage qui le motive, mais l'opération de convoyage elle-même dont je suis sujet à responsabilité très limitée pour le temps du parcours.
Dès que l'appareil accélère (avion ou train), la mobilité et les initiatives deviennent extrêmement réduites, mais l'observation et la réflexion sont exacerbées! Pour autant qu'un sommeil innocent ne prenne pas la pôle position au lâcher des freins ...
Dans un avion, le puissant murmure d'un vent régulier glissant sur les flancs de la machine et qui étouffe les bruits incongrus des passagers, les lumières douces sortant du plafond arrondi, les frôlements d'hôtesses souriantes le long des travées inspirent un état de relaxation qui peut conduire à la béatitude la plus candide. La nuit ajoute à cette sensation avec l'ambiance feutrée d'une pénombre complice et comme recueillie. Si le sommeil ne l'emporte pas, l'esprit galope alors dans une revue de détail ou une introspection légère (pour ne pas dire aérienne) qui peut s'approfondir, selon les antécédents du départ..
Seule, une zone de turbulences est en mesure d'altérer cette incomparable sensation de bien-être et motiver des réflexions soudain moins placides…
Le plaisir du TGV est différent. La sérénité de la cabine est trop souvent perturbée par un braillement de bébé ou la sonnerie incongrue d'un téléphone qui engendre illico un discours à voix survoltée dont les détails ne peuvent échapper à aucun passager quelle que soit sa discrétion naturelle! En revanche pour tout esprit curieux ou railleur, l'intrusion dans une tranche de vie d'un tiers anonyme au travers d'un petit sketch vocal peut provoquer un plaisir fugace tel un clip volé ou alimenter le calepin des histoires vécues qui inspirent les "one man show" de salon et les romanciers…
Dans le train depuis toujours, la sérénité s'installe quand , appuyé à la fenêtre, on contemple le paysage qui défile et s'échappe en sens inverse. Dans un TGV le poste d'observation le plus propice est la voiture bar qui permet un appui nonchalant devant un café/Mars. Le paysage rural, d'une rare beauté en saison intermédiaire (printemps ou automne) est surprenant dans sa variété. La vitesse et la fluidité de la suspension des voitures ajoutent des sensations neuves , tout en ondes douces et exaltantes. Le convoi surfe avec souplesse sur les valons verdoyants des blés en herbe, se laisse griffer par les bosquets qui surgissent par surprise, tangente des étangs aux eaux calmes, surprend des troupeaux de ruminants qui n'ont plus le temps de le regarder passer, double avec désinvolture des automobilistes sur une autoroute soudainement parallèle.
Les villages nichés au creux de collines bienveillantes dévoilent leur arrière-cours, les clochers et vieux donjons émergent joliment de ces cartes postales familières qui font replonger dans la douce nostalgie de l'enfance… Emporté par son élan , le train tente d'effleurer les petits cumulus qui paressent au dessus de collines avant de s'engouffrer avec précision dans une saignée qui tranche un coteau d'une plaie saumon. Parfois, un tunnel interrompt violement le film, comme une censure brutale à l'image et un coup de semonce à la rêverie. Ailleurs, c'est la croisée détonante avec un convoi inverse qui chamboule les sens dans un défi aussi extravagant que fugace.
La fin du voyage, éclatement de cette bulle passagère, est annoncée par le défilé des tags, œuvres baroques sur les murs crasseux de bâtiments abandonnés , les clôtures de zones en friche ou sur des cheminées éteintes qui défigurent le ciel! Autrefois on descendait de la voiture pour revenir sur terre. Le TGV vous pose délicatement sur le quai au même niveau, comme une ultime attention au terme du voyage…
Dans la gare, les vicissitudes de la vie reprennent immédiatement le dessus quand les passages souterrains sous les voies , dépourvus de rampes ou ascenseurs obligent le voyageur encore étourdi à descendre et gravir des escaliers en tirant un bagage dont les roulettes bégayent au scandale sur des marches trop hautes…