Je suis très sensible à ton courrier personnel et confidentiel, et je tiens à te répondre avant de me rendre à New York le 28 septembre où j’espère te compter parmi les auditeurs attentifs de mon discours à l’ONU.
Tes recommandations et assistances sont très importantes pour moi, dans la conduite des affaires internationales, en particulier pour le Moyen-Orient. J’aurais souhaité m’en entretenir en privé lors de ce voyage, mais le président Obama a retenu la totalité de mon temps libre pour des entretiens bilatéraux, avant mon discours devant l’Assemblée des Nations Unies.
Conscient que la politique américaine dans cette zone agitée du monde est un fiasco depuis l’intervention désastreuse en Irak sous la présidente de Bush junior, il m’a fait part de son désir d’ouverture, voire d’un retrait progressif du champ irako-syrien, laissant la place à la Russie dans la lutte contre Dae’ch, notre ennemi commun, comme tu me le rappelais justement.
L’armement et l’entrainement irréfléchis des milices anti djihadistes s’est retourné contre les alliés, la majeure partie des armements fournis étant passée aux mains des combattants pro-islamistes. Je sais que sous l’impulsion de Monsieur Fabius la France a également contribué à ces fournitures, certes à niveau plus modeste, mais tu m’avais confié ne pas partager totalement cet engagement trop volontariste de ton ministre. Le même scenario que l’armement des rebelles contre les troupes russes en Afghanistan s’est reproduit, et l’on en constate les effets pervers et désastreux maintenant, ce dont j’avais pourtant prévenu le président Obama.
L’objet plus précis de ta missive concerne la coordination des opérations aériennes sur le territoire syrien. J’agrée volontiers que les risques de confusion et d’incidents sont grands qui pourraient altérer les bonnes relations que nous avons renforcées depuis ma venue en France lors de la célébration du débarquement allié en Normandie l’an passé. Ton arbitrage lors des conversations avec le président des États-Unis fut particulièrement précieux, même si ses actions diplomatiques ultérieures à l’égard de mon pays lors du retour de la Crimée dans le giron de la mère-patrie furent plutôt hostiles. Cependant le poids de la France en Europe et ton influence sur les pays de la communauté ont tempéré les ardeurs belliqueuses de certains à notre égard et je t’en sais gré.
C’est pourquoi, plutôt que de procéder à l’examen d’une gestion cohérente des frappes, qui nécessiteraient à l’évidence un temps incompatible avec l’urgence de la lutte déterminante contre l’ennemi, et maintenant que ta proposition de rencontre sur l’un de mes anciens Mistral est devenue obsolète par suite de leur revente à l’Égypte, je suggère de te relever totalement du poids des engagements en Syrie après la preuve faite de frappes de tes chasseurs-bombardiers, démontrant la réactivité et le grand professionnalisme que les observateurs avertis, comme moi-même, reconnaissent à ton aviation.
Si tu agrées à ma proposition, et pour célébrer ensemble la nouvelle amitié russo-française, je t’enverrai une invitation à un voyage officiel en Russie. Dans le programme je prévoirai une visite à la ville de Sovetsk (que vous Français connaissez mieux sous l’ancienne Tilsit) située sur la rivière Niemen dont les deux noms sonnent avec grandeur aux oreilles des passionnés de l’histoire commune à nos deux nations. Après ma visite en Normandie, ta venue sur le Niemen constituerait un puissant symbole contribuant à un nouveau et indispensable rapprochement des peuples de notre grand continent européen.
Avec toute mon amitié slave,
Vladimir Poutine
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