Ma ligne du téléphone rouge vient d'être piratée par des réfugiés syriens entrés par effraction dans ma résidence de la Lanterne, où j'aurai, je l'espère bientôt, le plaisir de te recevoir, à condition que Cazeneuve ait réussi à les faire expulser. Me voici donc contraint de t'envoyer un courrier papier que je souhaite plus convivial et personnel que diplomatique. Tu noteras qu'il est sur papier vierge et je t'informe que Fabius n'en a pas copie, comme d’ailleurs aucun ministre de mon gouvernement. Cette confidentialité me permet d'être direct et totalement sincère, ce que les échanges officiels n'autorisent malheureusement pas, devant les opinions publiques et le jugement de l'Histoire.
Lors de notre dernière rencontre , à propos de l'Ukraine, où je t’ai soutenu en échange d’un règlement pondéré du contentieux Mistral, je t'avais suggéré d'impliquer la Russie, cette grande nation européenne et amie de la France, dans la lutte directe contre les barbares islamistes du Moyen-Orient, car notre ennemi est incontestablement commun, même si la menace est peu marquée vers ton pays actuellement. J'avais compris et admis qu'un engagement direct et déclaré eût été interprété par certains pays de la "coalition", surtout les États Unis, comme une ingérence inadmissible dans un conflit qui ne te concernait pas. Obama, me l'a rappelé souvent, qui considère que sa lutte contre "Daech" est la juste contribution à la défense de l'Europe, alliée immuable des USA.
D'autres partenaires européens te tiennent encore rigueur du retour de la Crimée dans la grande famille russe, nonobstant mes efforts répétés pour les amener à la raison et au bon sens historique. Ils y voient une violation du droit international, alors qu'une présence amie déterminée en mer Noire est une garantie pour l'Occident contre les incartades pro islamiques de la Turquie d’Erdogan. Sous sa férule, ce pays est devenu le dissident potentiel de l'Europe et le cheval de Troie de l'Alliance Atlantique, ce que j'ai répété à Obama qui demeure son défenseur pugnace, contre tout réalisme stratégique.
L'objet de cette missive est de te faire part de mon inquiétude dans la coordination des opérations aériennes au-dessus du territoire syrien depuis que tu y déploies tes chasseurs. Je ne doute pas que leurs opérations viseront les djihadistes, ce dont je m’emploierai à convaincre mes alliés et mon gouvernement. Nombreux en effet sont les incrédules, convaincus que tu viens au secours de Bachar-el-Assad. Je te donne blanc-seing de la France pour l’exfiltrer au moment que tu jugeras le plus opportun et je ne doute pas qu’une telle opération, avec un sous-marin depuis le port de Tartous, ne présentera aucune difficulté logistique tout en assurant une totale discrétion. Si nécessaire, je déploierai le Charles-de-Gaulle au large du Liban, en arguant d’une relève de l’aéronavale américaine, ce que j’ai déjà fait avec succès, en avril dernier.
Cependant, la coordination inter alliés est déjà un peu anarchique, ce qui nécessite pour mon aviation de recourir à de nouvelles reconnaissances afin d’actualiser les objectifs avec précision et éviter les erreurs graves lors des frappes futures. Dans ce but je souhaite que nos chefs des opérations en charge se rencontrent rapidement en un lieu secret, par exemple sur l’un des Mistral au large de Saint-Nazaire (au prétexte d’une évaluation par un client potentiel), en vue d'établir les conditions d'une coopération efficace, et en particulier écarter tout risque de confrontation accidentelle entre tes Sukhoi et mes Rafale, ce qui pourrait s’avérer dommageable pour l’image des forces aériennes russes. L’esprit du « Normandie-Niemen » anime encore nos aviateurs et demeure un lien indéfectible entre nos deux grandes nations.
Dans l’attente de ta réponse urgente, je te prie de croire, cher Vladimir, à mes sentiments aussi admiratifs que conviviaux. привет вам !
François Hollande