Plus d’un demi-siècle après avoir passé les épreuves du Bac « Mathématiques et Technique », (un bac comme les autres mais avec des disciplines et de longues heures dédiées en plus !) où , comme son objectif le suggère, la philosophie était un petit extra en fond de programme qui glissait un peu de fantaisie dans les poches de nos blouses grises, j’ai eu envie de compléter mon succès de l’époque par une dissertation actuelle. Mais plutôt que choisir l’un des deux sujets, j’ai l’audace d’en faire un devoir synthétique dans la forme, comme dans la longueur, car je ne saurais vous infliger quatre pages.
Mon sujet est donc :
Les œuvres éduquent-elles notre perception et doit-on tout faire pour être heureux ?
D’entrée je retourne la question en la rendant contractée :
Doit-on tout faire pour être heureux en éduquant notre perception avec les œuvres ?
Je pars avec un avantage évident sur les ados qui ont sué lundi, surtout après avoir couru sur les quais de gare pour disserter à l’heure. L’expérience vécue avec les observations diverses, nationales et exotiques, urbaines et rurales, branchées et rétro a rempli mon sac à « CC » (culture et convictions) de quelques solides arguments dont je n’exigerai cependant de quiconque d’en faire vérité, bien que mes certitudes soit fondées…
Le bonheur étant relatif, il ne peut s’apprécier que par une exultation passagère, un niveau de jubilation au-dessus de la ligne ordinaire du bien(ou mal)-vivre, référence ondulante du petit train-train de la vie. Être heureux a souvent été dévoyé car s’appuyant sur des faits anodins, voire des pensées hypocrites. Un exemple, tel l’étranger « glad to see you » le confirme, que l’on doit surtout aux perfides Anglais ! Chez nous l’expression « Être heureux en amour » semble suggérer paradoxalement que le nirvana n’est pas obligatoirement consubstantiel de l’hyménée et que l’extase se nourrit d’avidité intense ou de gourmandise assumée…
Ce qui fait tout naturellement la transition vers le volet corolaire du sujet. Car ressentir du plaisir devant une œuvre d’art exige prudence, recul, esprit critique et par-dessus tout sincérité. On admet que les objets matériels tels peintures, sculptures et architectures symbolisent le génie artistique pérenne. Michel-Ange, Rodin, Vinci (le peintre, par les autoroutes) Cézanne, et tous les « classiques » forment, avec les anonymes antiques, de la Victoire de Samothrace à l’Éphèbe d’Agde, les références du beau pour l’œil. En traversant le temps et conservant leur attraits sans lifting, ces œuvres ont scellé l’empreinte du sublime, mais l’extase est éphémère qui dure le temps d’une contemplation. On ne m’en voudra pas cependant de préférer les rondeurs de la Vénus de Milo aux profils anguleux de Giacometti, aux démembrements picassiens ou aux obésités phalliques de Niki.
Quant à la perception éduquée par les œuvres modernes telles les « installations » (qui me font penser à portuaires ou hydrauliques) et autres « dispositions » (là, c’est testamentaires !) j’en reste encore à la maternelle du sens artistique et au niveau du caniveau où elles s’étalent le plus souvent. Et je n’ai plus le temps de grandir… Ces « œuvres » heureusement très provisoires ne connaitront que la postérité à durée déterminée ! Et sûrement pas celle du Viaduc de Millau, grandiose réalisation aérienne qui a déjà rejoint le panthéon des œuvres mémorables !
Les œuvres littéraires et cinématographiques participent avec consistance et patience, et plus de modestie à l’éducation du discernement individuel à condition de ne pas succomber aux injonctions des critiques patentés du Nouvel Obs , de Télérama et autres autorités du bon goût.
Mais c’est l’ouie le réceptacle majeur du plaisir ! Mozart, Verdi, Manuel de Falla, ou Narciso Yepes, Gershwin, Rodriguo comme Amstrong , Coulais, Michel Legrand ou Jean Jacques Goldman et John Denver, cette cohorte de créateurs flattent l’oreille à la demande et pour beaucoup post-mortem. La liste des promoteurs de bonheur auditif est illimitée. En revanche j’éprouve de désagréables acouphènes avec les rappeurs, bombardiers de décibels, mais nul ne m’oblige à leur écoute, sauf quelques voitures sans chauffeur visible ( si ce n’est une casquette dont la visière fait face à l’arrière) qui incidemment répandent des rythmes forcenés sur la chaussée, généreusement mixés avec des ronflements de turbo.
Tout faire pour être heureux, serait oublier le reste. Il me parait opportun de préserver aussi les petits malheurs qui sont les faire-valoir du bonheur. Heureusement, la société est salutaire en la matière.
Mais, je m’aperçois que j’ai concentré mon propos sur les œuvres d’art alors que la question était posée pour toutes les créations ! Zut. Si je suis jugé hors sujet, par vous mon jury, je reviendrai volontiers à la session de rattrapage, avec grand plaisir !