Pardonnez--moi cette familiarité qui bouscule un tantinet le protocole républicain, mais j'ai entendu votre souhait de demeurer près des citoyens nonobstant la dignité de votre fonction à laquelle vous contribuerez pour en restaurer tout le panache. Sachez que j'ai apprécié ce message lancé de Tulle et que j'honore volontiers en retour par la présente.
Je tiens en premier lieu en ce jour d’intronisation, à vous féliciter comme il convient. Votre victoire semblait tellement improbable l'an passé que votre mérite n'en est que plus grand. Je vous dois la vérité, je n'ai pas voté pour vous, pas même lors des primaires de votre parti. Lors de la première sélection, j'ai donné ma voix à Manuel pour sa fière opposition (qui m'a paru alors de droite) à tous les postulants dont vous-même. Je me suis abstenu au second tour, ne pouvant et vous l'admettrez démocratiquement, cautionner en tant qu'adhérent à l'UMP une candidature contre mon favori, Nicolas Sarkozy.
Secondement, je voudrais vous faire part de mes sincères encouragements. Ma démarche n'est en rien paradoxale malgré mon aveu précédent. Tout d'abord parce désormais vous êtes "mon Président", attentif à moi autant qu'aux autres avec impartialité, comme vous l'avez si bien rappelé, ensuite car les temps qui viennent vont bousculer la sérénité joviale que l'administration de la belle Corrèze avait confortée en vous.
"Occupez-vous de mes amis, j'ai assez de m'occuper de mes ennemis" avait dit à peu près l'homme perspicace. C'est précisément ce qui stimule le plus mon inquiétude à votre endroit. J'ai noté avec attention durant cette année qui a précédé votre accession à la magistrature suprême , les vilaines allusions, piques subtiles ou propos peu amènes venant , hélas, de votre propre camp. En dépit de la récente agrégation amicale et florissante autour de vous, les rancœurs et jalousies ne sont pas éteintes. Vous devrez vous en préservez avec toute la subtilité et l'art du compromis que ceux-là même qui doutaient de vos capacités vous reconnaissent..
Pour ce qui est de l'opposition, la chose est bien plus aisée. La Droite va bêtement imiter ce que vous avez fait durant ces longues dernières années. Votre expérience vous permettra de déjouer obstacles constitutionnels, attaques frontales, opposition systématique ou traquenards politiciens, sans réelles difficultés. Le Sénat désormais amical vous apportera tous le réconfort qu'une Assemblée nationale turbulente ou vindicative pourrait bousculer, surtout avec les excités du Front de gauche qui sont décidés à ne pas vous rendre l'exercice présidentiel facile.
Permettez-moi un conseil unique mais sincère qui vous autorisera une présidence apaisée sinon fructueuse. Faites subtilement ce que vous reprochiez jadis à votre prédécesseur! Oubliez certaines de vos promesses, ne faiblissez pas sous la pression des syndicats, n'écoutez pas vos faux-amis, n'entendez pas les rumeurs sourdre de votre ancien camp, gardez le contact, comme vous l'avez réitéré, avec le terrain populaire.
Car n'oubliez pas , vous avez été élu par une très courte majorité des exprimés mais qui ne représente qu'un tiers de la population française! Pour donner satisfaction à la grande majorité réelle, diluer vos promesses, falsifier subrepticement vos engagements, dénoncez les évènements extérieurs. Le peuple vous en sera sûrement reconnaissant.
Et si, comme pour Nicolas Sarkozy, il est ingrat au bout du quinquennat, vous pourrez également goûter une retraite tranquille en retournant sur les terres qui vous sont chères et ouvrir près de celui de votre ami Jacques Chirac un second musée des cadeaux faits à la France par vos sympathisants étrangers.
Je gage qu'après lui et votre prédécesseur qui dans quelques semaines connaîtra la même postérité dont les citoyens chargent avec enthousiasme les anciens présidents, vous aussi serez admis au Panthéon sondagier des hommes préférés des Français..
J'ose enfin, par chauvinisme régional, vous saluer en langue d’Oc limousine dont j'imagine vous n'ignorez pas l'usage, instrument primordial pour faire ses courses au marché de Brive-la-Gaillarde et y choisir un chapelet de boudin noir aux châtaignes…
Lu cienzamen qu'éi ahué!*
Henri Gizardin
* Le changement c'est aujourd'hui! (En phonétique, car la République avait jadis interdit l’emploi et donc l'écriture des dialectes locaux)