Les manifestations de Birmanie soulèvent , surtout en occident, une chaîne compassionnelle qui se dissoudra probablement dès que l'amplification médiatique sera usée. Les représailles meurtrières sont justement condamnables, comme toute action de répression armée dans le monde. Au delà de l'émotion du moment, il est cependant judicieux de considérer les spécificités régionales avec un œil moins formaté à l'européenne.
Il y a en occident une vérité doctrinaire qui est le ciment d'un consensus intouchable: La démocratie est le summum de l'organisation d'une société et tous les peuples aspirent à cet aboutissement! Cet axiome bouscule hélas l'autre principe sacré du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce que l'on observe en Europe même avec les luttes ethniques, religieuses ou linguistiques en Irlande, dans les Balkans et maintenant au cœur de l'Union, avec la Belgique…Et que dire de l'Irak!
Pour qui a vécu à l'étranger, en particulier en Asie, il est clair que les piliers du développement et de l'équilibre des sociétés ne s'appuient pas sur ce modèle. A l'exception de l'Inde, sortie fracturée de l'indépendance, la plupart des pays de l'ASEAN, mosaïques d'ethnies aux limites territoriales souvent tracées par les colonisateurs, sont administrés par des pouvoirs forts voire autocratiques . Leur développement doit beaucoup à une gestion politique ferme et continue. Il en est ainsi de la Malaisie, la Thaïlande dont le roi contribue à la stabilité malgré les soubresauts de coups d'état militaires quasi institutionnels, Brunei, L'Indonésie mais surtout les "grands" de l'économie, la Chine, Taïwan et Singapour.
Il est intéressant de s'arrêter un instant sur le plus petit et le plus vaste . Singapour singularité multiculturelle , pays sans aucune ressource naturelle (pas même l'eau importée, en partie du voisin malaisien) doit son essor économique à la seule valeur ajouté des entreprises et du travail. L'autorité quasi héréditaire et ferme de l'Etat, garantit l'unité nationale en même temps qu'elle donne une très grande confiance aux investisseurs. Les progrès sociaux suivent naturellement la croissance de la richesse commune. La Chine est un paradoxe d'une autre nature. Ce pays est le promoteur d'un hyper-mondialisme et champion nouvellement converti du capitalisme. Il est cependant géré par un parti communiste monopolistique qui tire tout son profit du nouvel ordre économique, apparemment sans conflit dogmatique…
A l'autre bout de l'ASEAN, aux Philippines, une démocratie à l'américaine a pris la place du dictateur Marcos sous les vivats de la communauté occidentale. Après son éviction, la veuve d'un opposant assassiné , Corazon Aquino a été élue présidente, puis un acteur de série B , Joseph Estrada , actuellement en prison pour corruption. Une autre femme Gloria Arroyo, a repris le flambeau. Ce pays au ressources nombreuses connaît un PIB/Hab de 1000 US$ . Celui de Singapour est de 30 000 US$ , supérieur à celui de la France!
La dynamique économique de la plupart des pays du sud-est asiatique est due à la dispora chinoise, particulièrement acharnée au travail, à l'innovation et.. au goût de l'argent! Le plus gros obstacle à l'évolution sociale vient trop souvent de la corruption qui en avale les bénéfices au profit d'une nomenklatura politique. Mais plus le pouvoir est partagé ou renouvelé, plus la corruption enfle et s'étale…
La démocratie et des droits de l'homme sont en Extrême-Orient des concepts étrangers à la tradition et à la discipline communautaires qui prévalent sur l'individualisme. C'est pour cela que je doute de la réussite d'une greffe de nos principes occidentaux pour supplanter l'autorité .
Si j'éprouve admiration et tendresse pour Aung San Suu Kyi, je crains pour la cohésion à terme d'une Birmanie retrouvée et réconciliée, sous sa bienveillante et généreuse tutelle.